ZOLA SUR COURBET/SUR CARPEAUX A LIRE

7 octobre 2015

TEXTES A ETUDIER

Le jugement de Zola n’est jamais complaisant ; dans cet article intitulé Les Chutes, il exécute d’un mot le maître d’Ornans pour mieux le rappeler à lui-même ; à ses yeux, Courbet « a fait du joli » pour être reçu au Salon, une lâcheté indigne du grand réaliste qu’il fut :

Il y a, en ce moment, une excellente comédie qui se joue, au Salon, en face des tableaux de Courbet. Ce que je trouve de plus curieux à étudier, même au point de vue de l’art, ce ne sont pas toujours les artistes, ce sont souvent les visiteurs qui par un seul mot, par un simple geste, avouent naïvement où nous en sommes en matière artistique. Il est bon parfois d’interroger la foule.
Cette année, il est admis que les toiles de Courbet sont charmantes. On trouve 
son paysageZOLA SUR COURBET/SUR CARPEAUX A LIRE dans TEXTES A ETUDIER boule exquis et son étude de femmeboule dans TEXTES A ETUDIER très convenable. J’ai vu s’extasier des personnes qui, jusqu’ici, s’étaient montrées très dures pour le maître d’Ornans. Voilà qui m’a mis en défiance. J’aime à m’expliquer les choses, et je n’ai pas compris tout de suite ce brusque saut de l’opinion publique.
Mais tout a été expliqué, lorsque j’ai regardé les toiles de plus près. Je l’ai dit, la grande ennemie, c’est la personnalité, l’impression étrange d’une nature individuelle. Un tableau est d’autant plus goûté qu’il est moins personnel. Courbet, cette année, a arrondi les angles trop rudes de son génie ; il a fait patte de velours et voilà la foule charmée qui le trouve semblable à tout le monde et qui applaudit, satisfaite de voir, enfin le maître à ses pieds.

Je ne le cache pas, j’éprouve une intime volupté à pénétrer les secrets ressorts d’une organisation quelconque. J’ai plus souci de la vie que de l’art. Je m’amuse énormément à étudier les grands courants humains qui traversent les foules et qui les jettent hors de leurs lits. Rien ne m’a paru plus curieux que ce fait d’un esprit puissant, admiré justement le jour où il a perdu quelque chose de sa puissance.
J’admire Courbet, et je le prouverai tout à l’heure. Mais, je vous prie, reportez-vous à cette époque où il peignait 
La Baigneuseboule (1)et Convoi d’Omansboule, et dites-moi si ces deux toiles magistrales ne sont pas autrement fortes que les deux délicieuses choses de cette année. Et pourtant, au temps de La Baigneuse et duConvoi d’Omansboule, Courbet prêtait à rire, Courbet était lapidé par le public scandalisé. Aujourd’hui, personne ne rit, personne ne jette des pierres. Courbet a rentré ses serres d’aigle, il ne s’est pas livré entier, et tout le monde bat des mains, tout le monde lui décerne des couronnes.
Je n’ose formuler une règle qui s’impose forcément à moi : c’est que l’admiration de la foule est toujours en raison indirecte du génie individuel. Vous êtes d’autant plus admiré et compris, que vous êtes plus ordinaire.
C’est là un aveu grave que me fait la foule. J’ai le plus grand respect pour le public ; mais si je n’ai pas la prétention de le conduire, j’ai au moins le droit de l’étudier.
Puisque je le vois aller aux tempéraments affadis, aux esprits complaisants, je mets en doute ses jugements, et je songe que je n’ai pas eu un tort aussi grand qu’on veut bien le dire, en admirant un paria, un lépreux de l’art.
Et comme je ne veux pas qu’on se méprenne sur les sentiments d’admiration profonde que j’éprouve pour Courbet, je dis ici ce que j’ai déjà dit ailleurs, il y a un an, lors de l’apparition du 
livre de Proudhon*.
Mon Courbet, à moi, est simplement une personnalité. Le peintre a commencé par imiter les Flamands et certains maîtres de la Renaissance ; mais sa nature se révoltait, et il se sentait entraîné par toute sa chair – par toute sa chair, entendez-vous ? – vers le monde matériel qui l’entourait, les femmes grasses et les hommes puissants, les campagnes plantureuses et largement fécondes. Trapu et vigoureux, il avait l’âpre désir de serrer entre ses bras la nature vraie ; il voulait peindre en pleine viande et en plein terreau.
La jeune génération, je parle des jeunes gens de vingt à vingt-cinq ans, ne connaît presque pas Courbet. Il m’a été donné de voir rue Hautefeuille, dans l’atelier du maître, pendant une de ses absences, certains de ses premiers tableaux. Je me suis étonné, et je n’ai pas trouvé le plus petit mot pour rire dans ces toiles graves et fortes dont on m’avait fait des monstres. Je m’attendais à des caricatures, à une fantaisie folle et grotesque, et j’étais devant une peinture serrée et large, d’un fini et d’une franchise extrêmes.
Les types étaient vrais, sans être vulgaires ; les chairs, fermes et souples, vivaient puissamment ; les fonds s’emplissaient d’air et donnaient aux figures une vigueur étonnante. La coloration, un peu sourde, a une harmonie presque douce, tandis que la justesse des tons et l’ampleur du métier établissent les plans et font que chaque détail a un relief étrange. En fermant les yeux, je revois ces toiles énergiques, d’une seule masse, bâties à chaux et à sable, réelles jusqu’à la vérité. Courbet appartient à la famille des faiseurs de chair.

Certes, je ne puis être accusé de mesurer l’éloge au maître. Je l’aime dans sa puissance et sa personnalité. Il m’est permis de lui montrer la foule qui se groupe autour de ses toiles et de lui dire :
 » Prenez garde, voilà que vous passez dans l’admiration publique. Je sais bien qu’un jour votre apothéose viendra. Mais, à votre place, je me fâcherais de me voir accepté juste à l’heure où ma main aurait faibli, où je n’aurais pas fouillé au fond de moi pour me donner dans ma nature, sans ménagement ni concessions. « 
Je ne nie point que 
La Femme au perroquetboule ne soit une solide peinture, très travaillée et très nette ; je ne nie point que La Remise des chevreuilsboule n’ait un grand charme, beaucoup de vie ; mais il manque à ces toiles le je ne sais quoi de puissant et de voulu qui est Courbet tout entier. Il y a douceur et sourire. Courbet, pour l’écraser d’un mot, a fait du joli !
On parle de la grande médaille. Si j’étais Courbet, je ne voudrais pas, pour 
La Femme au perroquetboule, d’une récompense suprême qu’on a refusée à La Curéeboule et aux Casseurs de pierresboule. J’exigerais qu’il fût bien dit qu’on m’accepte dans mon génie et non dans mes gentillesses. Il y aurait pour moi je ne sais quelle pensée triste dans cette consécration donnée à deux de mes œuvres que je ne reconnaîtrais pas comme les filles saines et fortes de mon esprit.

Mon Salon – L’Evénement, 15 mai 1866

 

[...] avant de parler des vivants, je vais évoquer le souvenir des dons magnifiques de ceux qui ont disparu dans ces dernières années et dont les oeuvres sont exposées au Champ-de-Mars.
Je m’occuperai tout d’abord de Courbet. J’ai dit que jusqu’ici il y a eu trois grands talents dans l’école française du XIXe siècle : 
Eugène DelacroixIngres et Courbet, et que ce dernier était aussi grand que les deux premiers. Les trois ensemble ont révolutionné notre art : Ingres accoupla la formule moderne à l’ancienne tradition ; Delacroix symbolisa la débauche des passions, la névrose romantique de 1830 ; Courbet exprima l’aspiration au vrai – c’est l’artiste acharné au travail, asseyant sur une base solide la nouvelle formule de l’école naturaliste. Nous n’avons pas de peintre plus honnête, plus sain, plus français. Il a fait sienne la large brosse des artistes de la Renaissance, et s’en est servi uniquement pour dépeindre notre société contemporaine.
Remarquez qu’il est dans la ligne de la tradition authentique. Tout comme le travailleur de talent qu’était
Véronèse ne peignait que les grands de son époque – même quand il lui fallait représenter des sujets religieux -(1)de même le travailleur de talent qu’était Courbet prenait ses modèles dans la vie quotidienne qui l’entourait. C’est autre chose que ces artistes qui, voulant être fidèles aux traditions, copient l’architecture et les costumes des artistes italiens du XVIe siècle(3).
Au Champ-de-Mars il n’y a qu’une toile de Courbet : 
La Vagueboule, et même ce tableau n’y figure que parce qu’il appartient au musée du Luxembourg, et dès lors l’Administration des beaux-arts a bien été obligée de l’accepter. Et c’est cette toile unique que nous montrons à l’Europe, alors que Gérome dans la salle voisine ne compte pas moins de dix tableaux et que Bouguereau va même jusqu’à douze. Voilà qui est honteux. Il aurait fallu assigner à Courbet à l’Exposition universelle de 1878 toute une salle, comme on l’a fait pourDelacroix et Ingres à l’Exposition de 1855.
Mais on sait bien de quoi il retourne, Courbet avait participé à la Commune de 1871. Les sept dernières années de sa vie ont été de ce fait un long martyre. On commença par le jeter en prison. Ensuite, à sa sortie de prison, il faillit mourir d’une maladie qu’avait aggravée le manque d’exercice. Après, accusé d’avoir été complice du renversement de la colonne Vendôme, il fut condamné à payer les frais de la reconstruction de ce monument. On lui réclamait quelque chose dans la région de trois cents et quelques mille francs.
Les huissiers furent lancés à ses trousses et on opéra la saisie de ses tableaux, il fut obligé de vivre en proscrit et mourut à l’étranger l’an dernier, exilé de la France dont il aura été l’une des gloires. Imaginez un gouvernement qui fasse saisir les toiles de cet artiste pour solder les comptes de la restauration de la colonne Vendôme ! Je comprendrais mieux s’il les avait fait saisir pour les exposer au Champ-de-Mars. Cela aurait été plus à l’honneur de la France.
Du reste, on a toujours traité Courbet en paria. En 1867, quand la médiocrité académique de 
Cabanels’étalait déjà devant les étrangers accourus de toutes parts, Courbet a dû organiser une exposition particulière pour montrer ses oeuvres au public. Il n’est plus parmi les vivants. On se doute pourquoi cette suprême humiliation, la plus grave de toutes, lui a été infligée, d’exposer au Champ-de-Mars son tableau 
La Vagueboule. La place étroite qu’on a cédée à l’artiste est ironique au plus haut point et inconvenante. Qu’on enlève La Vague, car elle donne à réfléchir à tous les artistes magnanimes et indépendants qui s’arrêtent devant elle. Ils douteront du grand disparu, qu’on essaie d’enterrer sous une poignée de terre.
La Vague fut exposée au Salon de 1870. Ne vous attendez pas a quelque oeuvre symbolique, dans le goût de
Cabanel ou de Baudry : quelque femme nue, à la chair nacrée comme une conque, se baignant dans une mer d’agate. Courbet a tout simplement peint une vague, une vraie vague déferlant sans se laisser décourager, sans se soucier des rires qui accueillaient ses toiles, du dédain ironique des amateurs. On le raillait, on l’appelait le peintre nébuleux, on feignait de ne pas comprendre dans quel sens il fallait prendre ses tableaux. Puis un beau jour on s’avisa que ces prétendues esquisses se distinguaient par un métier des plus délicats, qu’il y avait beaucoup d’air dans ses tableaux ; qu’ils rendaient la nature dans toute sa vérité. Et les clients affluèrent dans l’atelier de l’artiste ; ils l’ont tellement surchargé de travail vers la fin qu’il lui a fallu en partie donner de l’ouvrage bâclé. Je ne connais pas d’exemple plus frappant de la peur que ressent le public devant tout talent neuf et original, et du triomphe inévitable de ce talent original pour peu qu’il poursuive obstinément ses buts.

Lettres de Paris - L’Ecole française de peinture à l’Exposition de 1878

A propos de la danse de Carpeaux voici cette critique acerbe sous la plume de Emile Zola :   »Le groupe de M. Carpeaux, c’est l’Empire ; c’est la satire violente de la danse contemporaine, cette danse furieuse des millions, des femmes qui vendent et des hommes vendus. cette façade bête et prétentieuse du nouvel Opéra, au beau milieu de cette architecture bâtarde, de ce style Napoléon III, honteusement vulgaire éclate le symbole vrai du règne . »

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